Textes et recherches de Yves RENAUD

Alchimie et Apothicairerie et théories médicales

(Un peu d'histoire)
Les ouvrages des alchimistes permirent une meilleure connaissance des substances employées intuitivement par les hommes et améliorèrent l’identification d’une foule de produits d’origine minérale, végétale et animale. Ils fournissaient non seulement une description précise de tous ces corps (naturels ou artificiels), mais ils en indiquaient aussi les effets sur l’homme. Autant dire que ce fut pour les apothicaires une mine d’informations quant à la préparation de leurs potions médicamenteuses.

Ils apportaient aussi la description détaillée de divers types d’appareils dont certains étaient résolument nouveaux, tel l’alambic utilisé pour les distillations (inventé par un chirurgien arabe).
Enfin, ils indiquaient avec précision un grand nombre de procédures permettant de réaliser les opérations de base de tout travail (al)chimique. Par exemple, les distillations, mais aussi les calcinations, les sublimations, les condensations, les précipitations. Ils mentionnaient nombre de solvants et les produits sur lesquels ils agissaient. Pour toute opération impliquant l’action de la chaleur, ils fournissaient des indications sur les températures à observer. Ces recherches souvent empiriques aboutirent ainsi à la découverte de nouveaux solvants, mais aussi et surtout à celle de nouveaux acides que les alchimistes réussirent très vite à rendre plus concentrés et donc plus actifs.

La plupart des historiens attribuent ainsi la découverte de l’alcool (par distillation) aux arabes, mais plusieurs chercheurs contestent cette paternité et affirme que la première production d’alcool (pur) aurait été réalisée à l’Université de Salerne en Italie.
Les connaissances que les alchimistes ont acquises et les découvertes qu'ils ont faites ont servi de terreau à l'émergence de la chimie, souvent par réfutation. On sait depuis que pour les physiciens nucléaires, qu’il n’y a pas de corps simples, que tous se décomposent et que la transmutation des métaux vils en or est chimiquement impossible mais physiquement réalisa
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LES GRANDES THEORIES MEDICALES


La Théorie des humeurs

Parmi les traitements qui resteront longtemps en vogue, on constate la prédominance constante, quasi-obsessionnelle, de la médication évacuatrice justifiée par l'impérieuse et antique nécessité d'évacuer les humeurs mauvaises, viciées, et les matières morbides. Hippocrate, le père de la médecine et auteur du fameux serment, n'a pas inventé la théorie des humeurs qui lui est souvent attribuée, mais il l'a diffusée. Selon cette théorie galéno-hippocratique, donc, la santé du corps humain résulte d'un équilibre entre quatre humeurs ; l'humeur est un terme vieilli pour évoquer un fluide contenu dans l'organisme (sang, phlegme, bile et atrabile).

Le principe des 4 éléments : La diététique médiévale repose sur un système quaternaire qui fait entrer en jeu deux qualités actives, le chaud et le froid, et deux qualités passives, le sec et l’humide. Tout ce qui est, au sein de la création comme dans l’homme, est composé de ces quatre éléments : 4 règnes (minéral, végétal, animal et humain), 4 saisons, 4 directions, 4 tempéraments et 4 humeurs :
- la bile jaune est chaude et sèche, elle domine en été (correspondant au feu, elle rend la personne violente et colérique)
- le sang, chaud et humide, domine au printemps (correspondant à l’air, il rend la personne joyeuse, généreuse et amoureuse)
- le phlegme, froid et humide, est prépondérant en hiver (correspondant à l’eau, il est responsable de la pâleur, de la fatigue, du manque de courage)
- et l’atrabile ou la bile noire, froide et sèche, domine en automne (correspondant à la terre, elle donne la gloutonnerie, la paresse, la tristesse). Leur juste proportion est la garantie d’une bonne santé. L'état morbide, lui, est censé provenir de l'excès ou de la viciation de l'une de ces humeurs. Le traitement des maladies a donc pour objectif l'évacuation des humeurs et des matières viciées ou en excès, elle est réalisée par deux gestes médico-thérapeutiques :

• La saignée ;
• La purgation.

La médication purgative pratiquée par voie orale ou sous forme de lavement avec la fameuse seringue à clystère doit soulager le contenu digestif, stimuler les secrétions intestinales et favoriser la dérivation des humeurs "mauvaises". Pendant de nombreuses années, ce furent les apothicaires qui furent chargés de l'administration du lavement, ce qui nécessitait une main exercée et explique que Maître Dardanus ait formulé de judicieux préceptes concernant ces bonnes pratiques de lavement :
"Au moment de l'opération, le malade doit quitter tout voile importun ; il s'inclinera sur le côté droit, fléchira la jambe en avant et présentera tout ce qu'on lui demandera, sans honte ni fausse pudeur. De son côté, l'opérateur, habile tacticien, n'attaquera pas la place comme s'il voulait la prendre d'assaut, mais, comme un tirailleur adroit, il s'avance sans bruit, écarte ou abaisse des broussailles ou des herbes importunes, s'arrête, cherche des yeux et, lorsqu'il a aperçu l'ennemi, ajuste et tire ; ainsi, l'opérateur usera d'adresse, de circonspection, et n'exécutera aucun mouvement avant d'avoir trouvé le point de mire. C'est alors que, posant révérencieusement un genou en terre, il amènera l'instrument de la main gauche, sans précipitation ni brusquerie, et que, de la main droite, il abaissera amoroso la pompe foulante et poussera avec discrétion et sans saccades, pianissimo".

Le FEU est chaud et sec, l’AIR est chaud et humide, l’EAU froide et humide et la TERRE froide et sèche. La maladie est alors perçue comme un déséquilibre des humeurs entraînant des symptômes que l’on va s’efforcer de corriger par les qualités de l’élément opposé. Une maladie froide et humide, les qualités les plus contraires à l’homme, nécessite des aliments chauds et secs. Cette notion de froid/chaleur n’a aucune relation avec la température ambiante, mais participe à la perception de la nature des aliments au travers des sens : le poivre ou la moutarde produisent une sensation de brûlure, comme le feu, la laitue ou la pêche rafraîchissent, comme l’eau. Le système est complexe et s’adapte à chacun selon son âge, son sexe, la saison ou l’endroit où il vit. La femme est plus froide et plus humide que l’homme, les vieillards sont plus froids et plus secs, les jeunes plus chauds et plus humides. Les gens du sud sont plus chauds que ceux du nord. L’hiver est froid et humide, l’été chaud et sec. Un temps pour chaque chose et à chacun ses aliments. C’eut été, par exemple, un risque inconsidéré que de vouloir manger cru un concombre en hiver ou boire moult hypocras en plein été ! Assaisonner, c’est rendre compatible un aliment selon le lieu et le moment où il est ingéré.


La Théorie de la hiérarchie des aliments

Chose surprenante pour un homme de l’époque actuelle, les aliments étaient classés, non pas selon leur valeur nutritionnelle, vitamines ou protéines étant des notions inconnues à l’époque, mais selon leur appartenance à l’un des quatre éléments.
On trouve au sommet le phénix et les épices, liés au FEU, puis les oiseaux, voyageant dans l’AIR, suivis par les poissons, évoluant dans l’EAU, et enfin, tout au bas de l’échelle, les quadrupèdes et les végétaux, rivés à l’élément à la fois le plus lourd et le plus grossier, la TERRE. Leur densité indique ainsi leur degré d’élaboration et leur valeur alimentaire. Dans le monde médiéval où domine une pensée chrétienne, plus on monte dans cette échelle verticale et plus on se rapproche du Ciel. A l’inverse, le monde chtonien terrien et ses profondeurs sont le domaine du malin, par conséquent, les aliments qui en sont les plus proches sont considérés comme suspects : une betterave est moins noble qu’une pomme !

La Théorie des Simples

Les Simples est un mot qui apparaît au XV° siècle, il désigne alors un remède constitué d'une seule substance ; il finira par s'appliquer uniquement aux plantes médicinales. La théorie des Simples est construite à partir d'un mélange confus de traditions populaires et de références chrétiennes où l’homme est indissociable de l’univers. Les cultures occidentales n’ont pas échappé à ces croyances. Lorsque au cours du 12e siècle, l'Eglise interdit l'étude et l'exercice de la médecine dans les couvents, les moines-médecins les quittèrent et s'établirent médecins, marchands et préparateurs de médicaments. " C'est la laïcisation progressive de la pharmacie ". (Dousset, 1985).Cependant, dans leurs carrés de Simples, les moines du Moyen Age cultivaient, pour se soigner (sous forme de tisanes, décoctions, cataplasmes…) racines, feuilles, fleurs et sommités dans une classification un peu étrange qui perdurera jusqu’au XVIII° siècle.
À cette époque, Carl Von Linné (1707-1771) définira une nomenclature générale des plantes classées en fonction de caractères anatomiques communs (terminologie désignée en latin, langue universelle des savants, pour énoncer le nom du genre puis de l'espèce pour chaque plante). L'usage s'est maintenu.

La Théorie des Signatures

Elaborée à partir d’un mélange de traditions où tous les éléments de la Création divine sont en correspondance symbolique, les plantes sont chargées de sens portés par la morphologie de la plante. Un végétal est supposé aider à guérir un mal car sa forme et son fonctionnement présentent certaines similitudes avec l’organe atteint ou des ressemblances avec certaines maladies ( par exemples : une plante de couleur rouge sera destinée aux maladies du sang, une jaune au foie, les cerneaux de noix, ressemblant aux lobes du cerveau humain, sont censés soigner tout ce qui touche à cet organe). Ces correspondances reposent toujours sur des « signes » en relation avec l'anatomie ou la physiologie de l'homme, et certaines particularités du monde végétal, minéral, voire même animal.
Théophraste Bombast von Hohenheim (médecin suisse) dit Paracelse (1493-1541) rend célèbre une conception ancienne de la nature : « la théorie des Signatures ». Pour lui, la plante témoigne d’un message d’ordre divin, message porté par la morphologie de la plante. Il en résulte une médecine par analogie, dont la Mandragore (voir image ci-contre) sera le végétal emblématique. Gianbattista Della Porta (vers 1540-1615), qui explique les caractères de l'homme en fonction de leur physionomie (1586) fera connaître la doctrine des Signatures à travers les correspondances morphologiques des plantes (Phytognomonica, 1588, Naples.) L’époque moderne utilisera la chimiotaxonomie, choix basé, dans un premier temps, sur la taxonomie, classification des plantes reposant, en premier lieu, sur leur morphologie.

Les Pratiques Populaires.

Les préparations médicinales dites « de bonnes femmes », on écrivait autrefois « de bonne fame », c’est-à-dire « bien famée », « de bonne réputation » (d'après le latin bona fama, application étymologique à la plante et non à la femme) à travers les assemblages découverts par nos aïeules, se révélèrent des thérapeutiques remarquables, pour peu que l’on sache les préparer.Cependant, celles qui connaissaient les arcanes des plantes (rites de la cueillette à des périodes ou des jours particuliers, en fonction de la configuration des planètes et de l'influence lunaire) se retrouvèrent souvent assimilées aux sorcières. Certaines guérisseuses hors pair avaient trouvé le moyen d'utiliser, sous forme d'onguent, certaines espèces contenant des alcaloïdes qui déploient des effets hallucinogènes. Ces pratiques, dont les préparations abortives, furent dénoncées et condamnées par l'Eglise du XIII° au XVII° siècle (Mann, J. 1996)* Les femmes sont devenues, traditionnellement, les dépositaires des secrets des plantes médicinales. Héritières d'un riche savoir familial, par la transmission des connaissances, elles témoignaient avant tout, d’un savoir adapté à leur famille et à leurs besoins. Le savoir sur les simples était indispensable à la survie dans les hameaux isolés.