Conformément à une division indiquée par Hippocrate, les remèdes étaient distingués par les mots « altérants, incisifs, relâchants, purgatifs, rafraîchissants. » En même temps on divisait les substances d'après l'action spéciale qui leur était attribuée. Il y avait « les céphaliques, les hépatiques, les stomachiques, les diurétiques » et autres.
Les apothicaires se mettent peu à peu à élaborer les remèdes à base de plantes, d’animaux et de minéraux. Les plantes les plus courantes sont cultivées dans le Jardin des simples, principale source médicinale de l’époque et souvent implanté à proximité de la pharmacie. Le Jardin de l’hôpital Sainte-Croix se situait quant à lui relativement loin, à Germay, sur des terres lui appartenant.
Les apothicaires ont aussi d’autres réseaux d’approvisionnement. Les coureurs de grands bois, les chasseurs de vipères, les cueilleurs, braconniers, bûcherons et autres amateurs de dame nature apportaient leurs trouvailles : herbes rares, plantes, animaux en tout genre.
L’apothicairerie pouvait alors sentir bon l’infusion, la décoction, la réglisse, l’anis, l’alcool et l’encens ou puer la corne brûlée, le musc et la macération organique.
Les préparations ressemblaient souvent à d’horribles remèdes de sorcières. Les cornes de cerfs, yeux de taupes, d’écrevisses, limaces ou encore bave de crapauds et d’escargots y figureraient en bonne place. Quoique la bave d’escargot soit, aujourd’hui encore, employée dans l’Hélicidine, le fameux sirop au goût de framboise contre la toux.
Les reméde et l'évolution thérapeutique du 18ème au 20ème siècle.
Au milieu du 18ème siècle, de nombreuses apothicaireries sont d'une grande richesse en ce qui concerne notamment les vases pharmaceutiques, mais le contenu (le remède) est loin d'être à la hauteur de la qualité du contenant (le vase). Le grand Bichat a jugé sévèrement la matière médicale de cette époque, caractérisée selon lui "comme un ensemble informe d'idées inexactes d'observations puériles de moyens illusoires".
Le décalage existant entre l'inefficacité des moyens thérapeutiques et la connaissance plus précise des pathologies engendre chez de nombreux médecins un scepticisme grandissant, voire un "nihilisme thérapeutique". La plupart des remèdes sont utilisés de manière empirique, ont peu d'effet bénéfique et se présentent sous des formes d'administration quasi-immuables depuis plus de deux siècles:
Tisanes ;
Sirops et potions ;
Extraits ;
Electuaires
Baumes et onguents ;
Pilules….
Les formules pharmaceutiques sont d'une grande complexité, c'est le règne triomphant de la polypharmacie et de la multiplicité des dénominations. Une pratique répandue est l'essai de remèdes dits secrets, pratiqués contre leur gré sur des malades vérolés pauvres ou mendiants. L'exemple célèbre est celui de l'Ipéca d'Helvétius essayé sur quatre dysentériques désignés sur ordre du roi.
Parmi les traitements en vogue, on constate la prédominance constante, quasi-obsessionnelle, de la médication évacuatrice justifiée par la théorie antique des humeurs et l'impérieuse nécessité d'évacuer les humeurs mauvaises, viciées, et les matières morbides.
A partir du 18ème siécle, c'est le règne de la purgation et de l'évacuation...vive les sangsues !
L'usage des purgatifs salins devient plus répandu (sulfates, calomel, tartrates) et complète ainsi la purgation classique par les produits d'origine v égétale : séné, aloès, ricin, rhubarbe L'utilisation fréquente de l'expression "prendre médecine" qui consiste en une purgation par voie orale témoigne du caractère habituel et répétitif de l'absorption de potions purgatives par les malades et les bien-portants.
D’autres remèdes évacuateurs sont également mis en oeuvre :
Les émétiques (vomitifs) : ipéca, kermès minéral, vin émétique ;
Les diaphorétiques (sudorifiques) : gaïac, salsepareille ;
Les apéritifs (diurétiques) : asperges, tisanes ;
Les vésicatoires : cantharides, térébenthine ;
Les révulsifs et décongestionnants : ventouses médicales.
Pratiquée jusqu'en 1830-1840, la saignée resta longtemps un des pivots de la thérapeutique "évacuatrice". Elle est pratiquée par incision des veines (phlébotomie) ou à l'aide de sangsues conservées dans des bocaux en verre appropriés appelés perchoirs à sangsue. L'utilisation médicale de la sangsue a connu son apogée avec Broussais qui en fit un élément clé de sa doctrine médicale.
Au milieu du 18ème siècle, les préparations d'opium représentent une valeur sûre de la thérapeutique antalgique symptomatique, elles sont déjà préconisées au début du 16ème siècle par Paracelse surnommé pour cette raison "Doctor Opiatus". La préparation la plus célèbre, encore utilisée sous forme de gouttes au début du 20ème siècle est le "laudanum de Sydenham".
La formule proposée par l'Hippocrate anglais Thomas Sydenham est encore décrite dans l'édition 1937 de la pharmacopée française : c'est une teinture alcoolique qui renferme opium, safran, cannelle et clous de girofle (1% de morphine). Elle fut utilisée pour la première fois lors de l'épidémie de dysenterie en Angleterre entre 1669 et 1672.
Jusqu'en 1850-1860, très peu de produits chimiques sont préconisés comme remèdes, ce sont exclusivement des sels minéraux :
Sulfates (sel d'Epsom, sel de Glauber) ;
Alun, borax ;
Sels d'arsenic, de mercure, d'étain et d'antimoine.
La thérapeutique métallique prônée par Paracelse (antimoine et mercure notamment) n'est évidemment pas exempte de dangers. Le recours fréquent à des pierres et matières précieuses préconisées "en toucher" (dans la peste notamment) laisse perplexe.
Ambre, ivoire, corail, perles ;
Emeraude, topaze, rubis, grenat.
La plus grande étrangeté règne également dans la préparation, l'utilisation et l'appellation des remèdes tirés du règne animal:
Huile de petits chiens (A. Paré) ;
Vin de cloportes ;
Bouillon de grenouilles, de vipères ;
Gelée de corne de cerf ;
Sang de bouc
Vraie momie d'Egypte.
On conçoit bien que Bichat ait pu vitupérer contre cette zoothérapie aux appellations certes exotiques mais aux vertus thérapeutiques plus que douteuses relevant plus du zoo que de la thérapie.
Au cours du 19ème siècle les moyens thérapeutiques sont encore dérisoires et souvent impuissants face aux ravages et à la mortalité effrayante provoqués par des épidémies à répétition :
Typhus, choléra, variole, diphtérie, peste et par des maladies telles que la syphilis et la tuberculose. Bien que contestées, sangsues, saignées et ventouses font encore partie intégrante de nombreux traitements, les malades sortent souvent de manière prématurée afin d'éviter l'application de ces traitements. Les bains et les douches froides, très pratiqués, sont préconisés contre l'anémie, les rhumatismes, la syphilis, le diabète. On réduit une luxation après avoir "affaibli" le patient par une saignée et des bains prolongés.
Les étudiants en médecine confectionnent en très grand nombre des cataplasmes émollients à la farine de lin pour calmer les inflammations et les complications des plaies. Les désastres engendrés par cette thérapeutique émolliente favorisant la surinfection des plaies ont été décrits en termes très directs par le chirurgien F. Hue. Il décrit dans ses mémoires : "le grouillement des larves de mouche qu'on trouvait parfois le matin dans certaines plaies et l'odeur qui vous prenait à la gorge à l'entrée dans la salle". On assiste cependant, au cours du 19ème siècle, à la naissance lente et progressive d'une démarche thérapeutique qui s'engage dans une voie plus rationnelle et va conduire de la médecine des élixirs, des saignées et des purgatifs à une médecine utilisant des médicaments chimiques purs d'origine naturelle dans un premier temps, puis d'origine synthétique ultérieurement.
Grâce à la mise en oeuvre de méthodes d'extraction des principes actifs purs, les plantes commencent à livrer le secret de leur activité thérapeutique:
Opium : morphine (1817) ;
Quinquina : quinine (1820)
Belladones : atropine (1833).
L'efficacité thérapeutique de ces produits appelés alcaloïdes est plus constante que celle des anciens extraits végétaux, dont la qualité et l'activité sont difficiles à évaluer scientifiquement.
Dès 1820, François Magendie est le premier à tester sur des modèles animaux l'activité physio-pharmacologique de ces nouveaux principes actifs, il montre ainsi la voie de la physiologie expérimentale à son célèbre élève Claude Bernard.
Il reste évidemment à présenter ces molécules naturelles sous de nouvelles formes d'administration stables, d'utilisation aisée et adaptée au confort des patients. C'est ainsi qu'au milieu du 19ème siècle vont naître des formes pharmaceutiques nouvelles issues de techniques de préparation innovantes :
Cachets et comprimés ;
Capsules et gélules ;
Ampoules injectables.
La forme injectable ou médication hypodermique, selon la terminologie de cette époque, innovation pharmacotechnique majeure, est devenue possible grâce aux techniques de stérilisation, à la mise au point de la seringue par le médecin lyonnais Pravaz et de l'ampoule injectable par le pharmacien Stanislas Limousin.
Les premiers médicaments issus de la recherche pharmaceutique et obtenus par synthèse vont apparaître en thérapeutique entre 1870 et 1900 :
Le chloral (1869) ;
La trinitrine
Le sulfonal
L'aspirine (1899).
Les spécialités pharmaceutiques telles que nous les connaissons aujourd'hui sont autorisées en France à partir de 1831:
Eau de Botot ;
Pommade de la Veuve Farnier ;
Rob Boyveau-Laffecteur.
Combattue au départ par l'ensemble de la profession pharmaceutique parce qu'elle est l'héritière des remèdes secrets qui ont fleuri au cours du 18ème siècle, la spécialité va se développer à partir des années1960-1965 dans les établissements hospitaliers, aux dépens des potions ancestrales et des préparations magistrales.
La Plante est considérée avec respect du fait de son alliance avec les forces de guérison. Presque tous les produits utilisés par les hommes pour soulager leurs maux procèdent de la découverte du pouvoir des plante, les pratiques empiriques émanent de réflexions et d’expériences. Les grandes découvertes (théorie des Simples, théorie des Signatures…) sont faites à partir d’observations et d’hypothèses « ad hoc », tandis que les pratiques populaires paysannes et montagnardes s'en tiennent, tout d'abord, à des préparations où les Simples tiennent une place prépondérante.
Les premières codifications apparaissent vers le XVe siècle. En réalité, dès la découverte de nouveaux continents (Asie grâce à Marco Polo, la voie vers l’Amérique par Christophe Colomb), de nouvelles plantes médicinales font leur apparition en France. Quinquina et poudre de castor vont rejoindre les rangs occupés par les pots d’étain ou de faïence des apothicaireries contenant mélisse, capillaire, sauge, chiendent, tilleul, rhubarbe, aubépine, thym, trèfle, poudre à thériaque, valériane, gentiane, poix de Bourgogne et combien d’autres encore.
Les produits rares comme l’encens, la myrrhe, le poivre, le gingembre, la cannelle, le safran et autre bois d’aloès, la reine de la plante médicinale sont importés de Tyr (Liban). Ipécacuana, gaïac et quinquina viennent eux d’Inde ou du Pérou.
On pourra se faire une idée du prodigieux dérèglement d'imagination pharmaceutique auquel risquaient de conduire toutes ces hypothèses, par les lignes suivantes, empruntées au commentaire de Bauderou, médecin célèbre qui vivait au dix-septième siècle, sur l'aurea alexandrina :
"L'opium est la base de cet électuaire ; mais on y fait entrer d'autres médicaments pour augmenter son action, et comme ces médicaments ont de mauvaises qualités, on en ajoute d'autres pour les corriger. Ce n'est pas tout encore : on entasse une quantité énorme de drogues, dont les unes sont chargées de diriger l'action de ce médicament vers la tête, les autres vers la poitrine, d'autres vers le coeur, l'estomac, la rate, le foie, les reins et plusieurs autres parties ; enfin ce seul médicament, destiné à combattre toutes les maladies, peut être regardé à juste titre comme une boutique entière d'apothicaire contenue dans un pot de faïence. » Ainsi, « la vertu rafraîchissante et narcotique de l'opium est augmentée par la jusquiame et l'écorce de mandragore, tandis que la qualité nuisible de ces dernières est corrigée par la myrrhe, l'euphorbe, le castor et les anacardes ; leur action est déterminée vers le cerveau par les moyens des clous de girofle, de la sauge, de la pivoine, du bois d'aloès et de l'encens ; ils pénètrent dans la poitrine et les poumons par le moyen du soufre, du thym, du pouillot et de la gomme adragant ; ils vont au coeur de l'addition des perles, de l'or, de l'argent, de l'os du coeur de cerf, etc. "
D e même qu'il existait des médicaments pour tous les goûts, il y en avait pour toutes les bourses. C'est ainsi que, dans un traité de pharmacie du dix-septième siècle, nous remarquons successivement un grand antidote pectoral dédié aux riches, puis un petit antidote pectoral pour les gens de basse condition.
Il en est de même pour bien d'autres médicaments : il y a un grand antidote stomacal « pour les riches », un petit antidote hépatique pour gens « de moyenne condition », un petit antidote contre la peste pour le commun du peuple, un autre pour la populace.
La pilule
C'est un assemblage de substances diverses présenté sous la forme d'une petite boule et supposé avoir un effet positif sur nombre de maux. Autrefois, elles étaient directement fabriquées par les apothicaires.
Mais ces pilules avaient deux gros défauts :
- Elles avaient souvent un goût infâme ;
- Elles avaient tendance à coller entre elles
Pour contrer ces désagréments, les pharmaciens de l'époque avaient pour habitude d'utiliser une pratique décrite au XVIIe siècle : ils enrobaient ces choses d'une couche de sucre (*1) ou, pour certains, d'une fine pellicule d'argent, voire d'or pour qu’elles ne collent plus entre elles (*2)
Il va de soi qu'avec ce dernier type de revêtement, le prix du médicament montait alors en flèche. Mais dans tous les cas, la pilule était alors autrement moins dure à avaler.
(*1) D'où l'expression "pilule ensucrée" pour désigner une personne enjôleuse, cherchant à tromper.
(*2) D'où l'expression "dorer la pilule"